On n'a plus l'habitude de revenir à l'essentiel. Et si l'on changeait de nos obsessions des jeunes hommes célèbres et inaccessibles, et si nous arrêtions de nous raccrocher à des rêves entourés de glamour et de poussière d'étoiles, idéalisés par les médias et nous-même ? Voilà ce que nous vous proposons pour l'édition de ce mois-ci : des portraits de jeunes hommes à travers diverses interviews, mais pour une fois, nous vous dévoilons le visage de jeunes gens ordinaires; des jeunes gens que vous pouvez croiser aujourd'hui, au détour d'une rue, à la terrasse d'un café... Commençons par un premier jeune homme abordé dans un parc ensoleillé alors qu'il fumait tranquillement sa cigarette. Son regard étonné puis son sourire innocent avait aussitôt convaincu que c'était le bon. Petit récapitulatif :

PRENOMS; Daeron, Evan NOM; Hemingway ÂGE; 28 ans ÉTUDES; a arrêté le droit PROFESSION; barman LIEU D'HABITATION; non-communiqué ORIENTATION SEXUELLE; bisexuel OPINION POLITIQUE; sans opinion STATUT MARITAL; célibataire

Je lui explique donc notre projet, et il accepte d'en faire partie. Je m'assois dans l'herbe face à lui. Son sourire angélique est un appel à la tendresse et l'envie de le prendre dans mes bras naît au fond de mes entrailles. Les jambes pliées devant lui entourées par ses bras, il tire une dernière bouffée de sa cigarette puis l'écrase par terre. Une fois le mégot éteint celui-ci va retrouver sa poche. J'ai ma première question :

• Vous gardez votre mégot ?
Ouais c'est pour le mettre à la poubelle ensuite. J'ai toujours trouvé ça dégueulasse les gens qui balançaient leurs mégots par terre.
• Seriez-vous écolo ?
Ecolo je sais pas mais en tous cas je fais mon possible pour ne pas salir la planète.
Vous n'avez pas de voiture donc ?
*rires* J'ai dis que je faisais mon possible. Et de nos jours vivre sans voiture c'est presque impossible. Mais je ne désespère pas que nos merveilleux scientifiques, une fois qu'ils seront moins occupés à bosser sur les armes de destruction massive, nous trouvent enfin des moyens de locomotion propres.
• Vous avez l'air assez sceptique sur le monde non ?
Ben faut l'avouer : y a vraiment des choses qui vont pas.
• Et... vous faites quelque chose contre ?
Moi ? Nan, arrêtez, j'ai appris y a longtemps que ça ne changera jamais. Il y aura toujours des gens à vouloir être supérieurs aux autres, il y aura toujours des gens qui pourront faire n'importe quoi pour de l'argent... Le monde ne tourne pas rond, et personne ne peut le réparer. Surtout pas moi, je suis déjà fatigué. Je me contente de... faire de mon mieux pour ne pas couler.
• Mais dites-moi vous êtes vraiment très pessimiste.
On peut appeler ça comme ça. Personnellement j'appelle ça du réalisme.
• Et pourquoi êtes-vous si désillusionné ?
Parce que je me suis déjà pris quelques taules dans la vie je pense...
• Quelques taules ?
Ouais fin j'ai pas de père et ma mère est morte quand j'avais 19 ans.

Il me dit ça de manière si sincère, il se livre avec tant de confiance à moi, une totale inconnue, que j'en ai la gorge serrée. Il n'a aucune retenue pour me livrer sa vie la plus intime... Ses yeux semblent être un miroir de son âme car même si son visage n'exprime aucun sentiment, j'arrive à lire toute la tristesse et le désespoir qui l'envahit. Cette envie de le prendre dans mes bras rejaillit, et je me mord la lèvre inférieur afin de ne pas laisser mes larmes couler. Je baisse la tête. Un quart de seconde plus tard je me suis ressaisi quelque peu. Ses yeux bleus-gris sont à nouveaux limpides comme le ciel, et l'innocence a repris place parmi les traits de son visage.

• C'est marrant parce qu'à première vue on ne vous imagine pas comme ça. Vous paraissez si... Innocent, presque naïf.
*rires* Oh ça c'est parce que je ne suis pas comme ça tout le temps non plus.
• Hein ?
Ouais, certains me disent que je suis lunatique, d'autres carrément que je suis schyzo. Enfin bref pour vous expliquer, c'est que pour essayer de m'évader de la réalité, je suis... Comment dire... En quelque sorte je ne prend que les bons côtés, et j'essaie de voir la vie sous l'angle qui la montre la plus merveilleuse possible. Ouais je sais. Je suis étrange.
• Vous parlez de « certains » et d'« autres ». Qui sont-ils ? Ce sont vos amis ?
Oh vous savez j'ai pas énormément d'amis. En fait j'ai aucun mal à aller vers les gens et à leur parler mais souvent ça ne va pas jusqu'au stade de l'amitié.
• Ah bon ? Et pourquoi ?
Je sais pas. Je suis trop bizarre peut être...
• Bon et bien pour découvrir ça on ira voir quelques une de vos connaissances. Merci beaucoup en tous cas.
De rien.

Il m'adresse un nouveau sourire enjôleur. Très professionnelle, je sens tout de même le rouge me monter aux joues et je me relève. Nous nous donnons rendez-vous afin de rencontrer des personnes de son entourage. J'ai déjà hâte à la suite, pas vous ?

Deux jours plus tard. Il m'a donné rendez-vous à son petit appartement. Arrivée en bas de l'immeuble, je hausse un sourcil. Un vieil immeuble rouge qui donne en même temps l'impression que c'est une ruine et également qu'il doit être emplit d'une histoire magnifique et tragique. Les escaliers grincent sous mes pas. Je sonne à la porte et on m'ouvre. Le même sourire me fait face et il m'invite à entrer chez lui. A l'intérieur, tout semble emprunt d'une extrême simplicité et pourtant, il n'y a que de vieux meubles... C'en serait presque vintage. Bref, j'adore. Il me propose un thé et en fait un sans attendre ma réponse. La sonnette retentit à nouveau et avant même qu'il n'ai réagit une furie rousse débarque. Elle regarde autour d'elle et me saute dessus. Elle n'arrête pas de parler, et je dois avouer que je ne me rappelle pas de tout ce qu'elle m'a déblatérer. Cela dit, je comprend l'essentiel : elle est la voisine de Daeron, et certainement la personne qui le connaît le mieux. Ce dernier n'a pas émergé de la cuisine, et je me lance dans l'interview de la poupée rousse :

• Alors, j'ai entendu dire que Daeron avait un caractère de chien ?
Daeron, un caractère de chien ? Mais pourquoi vous dites ça ? *rires* Bon c'est vrai qu'il est lunatique, qu'il peut être méchant parfois : *chuchotte* voire très même. Et puis il peut aussi manquer de respect aux gens... Mais en fait c'est pas quelqu'un de mauvais.
• Pourtant avec ce que vous venez de dire...
En fait, il est lunatique. Souvent sujet à ses humeurs, et tout... Il réagit comme il en a envie et assez instinctivement (malheureusement parfois *rires*). Il lui suffit de peu de choses pour le mettre de mauvaise humeur, et alors il peut être exécrable, croyez-moi. Mais quand il est de bonne mise, il peut être alors tout à fait adorable, le plus adorable des garçons que je connais.
• Oui d'ailleurs il m'a dit qu'il n'avait pas beaucoup d'amis. Pourquoi pensez-vous ?
Bon bah ça c'est la théorie hein, enfin bon, je pense qu'il a toujours eu l'impression qu'il pourrait se heurter au monde, et que tisser des liens pourrait être dangereux, comme s'il pouvait être blessé par les autres.
• Et pourtant c'est quelqu'un de très sociable, qui semble profiter de la vie non ?
Et bien depuis la mort de sa mère, il s'est désintéressé de tout ou presque, et a préféré prendre la vie comme elle venait. Il vit depuis sa vie au jour le jour, et préfère s'amuser que perdre du temps en cours. C'est pour ça qu'il a arrêté la fac de droit. Il préfère s'amuser ; "vivre" comme il le dit si bien.
• Vous connaissiez ses parents ?
J'ai vu sa mère deux ou trois fois, on s'est juste dit bonjour. Et son père jamais.
• Il vous a parlé de son père ?
En fait il refuse toute discussion par rapport à ça. Il n'avouera jamais qu'il a un manque et encore moins qu'il aimerait connaître ce père. Quand on lui pose des questions sur son père disparu, il dit qu'il ne l'a jamais connu et qu'il "s'en fout" et que pour lui, ce père là est mort. Mais je le connais bien et je sais qu'il a souffert de l'absence de son père.
• D'accord... Et à part vous vous connaissez quelqu'un qui le côtoie régulièrement ?
Heu... J'vois pas trop... Vous devriez le lui demander !
• Bon et bien merci, je pense avoir terminé.

C'est à ce moment là qu'il revient avec trois tasses et une théière. Malheureusement je dois les laisser, j'ai d'autres interviews à faire, d'autres jeunes gens ordinaires à vous faire connaître. Je les laisse donc derrière moi après avoir refermé la porte, et à peine avais-je posé mon pied sur la première marche des escaliers que j'entends la douce voix de la jeune fille se mettre à virevolter. J'aurais bien aimé prendre le thé avec eux. Mais je descend les escaliers et tourne le dos à l'immeuble. J'ai rendez-vous avec le suivant. Néanmoins j'ai le pressentiment qu'il restera mon favori, et que je vais garder son numéro...