J'ai eu 15 ans hier. J'ai déjà passé 15 années sur cette terre. Il y a 15 ans, je suis sortie du ventre de ma pauvre Vera. Il s'en est passé des choses depuis mon quatorzième anniversaire. Il y a un an, j'habitais encore dans le petit appartement où j'ai été élevée. Car non, je ne suis plus avec elle. Je ne pouvais pas comprendre qu'on nous sépare. Qu'est-ce qu'elle allait faire sans moi? Je faisais souvent la vaisselle, le marché, la lessive… Et puis, elle allait devenir folle à rester toujours toute seule. Je me fais du souci pour elle. J'ai peur qu'elle se mette à rencontrer ces types pas nets d'Internet, qu'elle se mette aux drogues dures ou qu'elle pense même à me visiter. Ne vous méprenez pas. J'aime ma mère et elle me manque. Je sais juste comment ça va se passer. Si elle remarque le moindrement que je me plais ici, elle va se taper une autre dépression et si je fais mine de ne pas être bien, elle va appeler la DPJ. Elle n'avait rien fait. Enfin, rien qui différait de ses activités des cinq dernières années. J'étais allée la chercher quand un mec m'avait dit qu'elle était défoncée. Je l'avais fait plus d'une fois et franchement, je ne pouvais m'empêcher de me mettre à hurler. Je me mettais à lui crier des bêtises. Je la détestais la plupart du temps. J'en avais assez de la voir dépérir volontairement. Cette fois, tout le voisinage m'a entendu crier. À peine une semaine plus tard, j'étais dans un tout autre monde. C'était une petite maison (quoique bien plus grande que notre appartement) où habitait mon oncle que je n'avais vu qu'une fois dans ma vie et sa femme. Leurs enfants avaient quittés la maison depuis presque dix ans. J'étais donc toute seule avec eux. J'ai été distante pendant un moment. Je téléphonais souvent à ma mère même si c'était pour l'insulter. Je ne voulais pas l'admettre, mais j'avais besoin d'entendre sa voix. Puis, on a finis par éloigner les appels pour ne plus se parler du tout. Je crois qu'on se faisait plus de mal que d'autre chose. Je lui envoie parfois des lettres, mais elle ne me répond jamais. Pourtant, je sais qu'elle les lit. Je jette mes feuilles sur les murs quand je n'ai pas eu de réponse depuis des mois. Puis, je lui réécris encore et encore. J'ai finalement eu une vie ici. Ursula et Hans sont des amours. Ils sont parfois un peu trop bavards, mais ça ne me dérange pas vraiment. Depuis qu'ils m'ont fait connaître la joie des moteurs, je serais prête à tout leur pardonner. Leur vrombissement me fait frissonner, mes mains dans la machinerie graisseuse me réjouissent, la vitesse me passionne… Je sais, je suis un extra-terrestre de mon espèce. Pourtant, je ne peux m'en empêcher. J'adore utiliser mes mains et mes méninges pour transformer un vieux tacos en bolide de course. Je dois même avouer que je suis assez douée. J'ai aussi essayé le dessin. J'aime beaucoup faire des portraits et… des voitures. C'est étrange de voir à quel point j'ai changé. Je ne suis plus mère d'un enfant de 43 ans. Je n'ai eu que 15 ans hier.